Quelques points de droit vis-à-vis des médias sociaux

Aujourd’hui Marc Lipskier,  avocat, a bien voulu répondre à une mini-interview concernant le droit et les médias sociaux. Je l’en remercie tout particulièrement et vous présente ci-dessous ces réponses d’expert… N’hésitez pas à partager cet article et nous faire part de vos commentaires. Vous trouverez en fin d’article la biographie de Marc.

Il apparaît depuis quelques temps sur Twitter des hashtags insultants ou diffamants.  Quels sont les recours juridiques face à de tels agissements ? Dans quelle mesure peut-on obtenir de ce media social l’identité numérique de ces auteurs et lancer une action en justice ? 

Le premier réflexe est de conserver la preuve des insultes ou de la diffamation. Une simple impression d’écran ne suffit évidemment pas, car il serait bien trop facile de constituer des fausses preuves.  Il faut donc demander à un huissier de justice de procéder en urgence à un constat. Si, au-delà de l’insulte ou de la diffamation, le hashtag porte atteinte à un droit de propriété intellectuelle, certaines personnes assermentées peuvent également procéder au constat. C’est par exemple le cas de l’Association pour la Protection des Programmes (l’APP : http://www.app.asso.fr).

Ensuite, il faut demander par lettre recommandée avec accusé de réception et courrier électronique à Twitter Inc de supprimer le contenu litigieux. En effet, l’article 6 de la Loi sur la Confiance dans l’Economie Numérique (loi du  21 juin 2004) fait obligation à Twitter de retirer les données à caractère illicite ou d’en rendre l’accès impossible. L’opérateur a l’obligation d’agir promptement, dès le moment où il en aura eu connaissance de ce caractère illicite. Aussi, pour rendre manifeste ce caractère illicite, la personne lésée aura soin de joindre le constat à sa demande de retrait.

A cette demande de retrait on ajoutera une demande de communication des données énumérées par le décret 2011-219 du 25 février 2011 de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création des tweets manifestement illicites.

Si Twitter ne s’exécute pas promptement, il faudra alors saisir le juge des référés pour lui enjoindre sous astreinte de procéder à ce retrait et à cette communication.

La personne qui s’estime insultée ou diffamée pourra enfin saisir le Tribunal correctionnel pour obtenir la condamnation pénale et à des dommages et intérêts de l’auteur des tweets.

Point très important à cet égard. La saisine du Tribunal correctionnel est soumise à une courte prescription de trois mois à compter de la publication du tweet litigieux. C’est un délai extrêmement court. Il faut donc agir très vite.

En cas de diffamation sur Facebook (faux profil portant atteinte à l’honneur d’une personne), quels sont les recours juridiques quant on sait que signaler ledit profil à Facebook n’engendre aucune action ? Que Facebook se réfugie derrière le droit américain en opposition au droit français ?

Facebook est soumise aux mêmes règles que celles que je viens de développer pour Twitter. Dans le cas d’un faux profil, s’y ajoute le délit d’usurpation d’identité numérique créé par la loi du 14 mars 2011 (loi dite « LOPPSI 2 »). Le nouvel article 226-4-1 dans le code pénal sanctionne d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende « le fait d’usurper l’identité d’un tiers ou de faire usage d’une ou plusieurs données de toute nature permettant de l’identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération ». Le second alinéa du texte précise que « cette infraction est punie des mêmes peines lorsqu’elle est commise sur un réseau de communication au public en ligne ».

On peut donc agir sur le fondement de ce texte dès lors qu’il y aura eu utilisation d’informations permettant d’identifier la personne dont l’identité est usurpée.

Je tiens toutefois à préciser que l’on ne sait pas encore exactement en quoi consiste l’identité numérique. Mais la jurisprudence viendra progressivement préciser de quoi il s’agit au-delà de ce à quoi on peut penser intutivement.

Dans la mesure où l’usurpation d’identité est une infraction commise en France – et elle est nécessairement commise en France, comme partout ailleurs dans le monde, puisque commise sur Internet – la loi française s’applique et les juridictions françaises s’appliquent sans que Facebook puisse se réfugier derrière sa nationalité Etats-Unienne. En effet, selon l’article 113-2 (2ème alinéa) du code pénal, une infraction est réputée commise sur le territoire français dès lors qu’un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire.

Les recours juridiques sont donc exactement les mêmes que ceux que j’ai indiqués pour Twitter.

Puisque nous parlons de Facebook justement, il existe encore des doutes quant à l’aspect privé ou public des propos qui y sont tenus. Comment te positionnes-tu par rapport à cela ? Même s’il existe une jurisprudence sur le sujet il semble que la question ne soit toujours pas tranchée. 

Je ne suis pas d’accord avec vous. La question est tranchée depuis plus de 130 ans. Bien avant même qu’Internet ou les réseaux sociaux existent.

Je m’explique. Toute la question est de savoir si un propos litigieux peut être qualifié de diffamation ou d’injure à caractère privé ou publique La question est d’importance car, selon que l’infraction sera qualifiée de publique ou privée, le Tribunal compétent sera différent et la peine encourue sera différente.

Cette distinction entre la caractère privé ou publique de l’injure ou de la diffamation procède de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse. Selon l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, si les propos ont été « proférés dans les lieux ou réunions publics et si la preuve est rapportée de l’intention de leur auteur qu’ils soient entendus au-delà d’un cercle de personnes unies entre elles par une communauté d’intérêts, laquelle est exclusive de toute publicité », alors  l’infraction est publique. Lorsque, au contraire les propos sont tenus en privé ou dans un cercle de personnes unies entre elles par une communauté d’intérêts, alors les propos sont privés.

En ce qui concerne Facebook, cette même distinction s’applique. Ainsi, dans deux jugements de départage rendus le 19 novembre 2010, le conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt avait conclu au caractère public de messages publiés sur un compte Facebook dont le mur était accessible aux « amis des amis ». Car ont été bien, dans ce cs là au-delà d’un cercles de personnes unies entre elles par une communauté d’intérêts.

Dans un arrêt du 10 avril 2013, la Cour de cassation a considéré que les propos qui s’adressaient à quatre personnes agréées par le titulaire d’un compte Facebook ne constituaient pas des injures publiques parceque le public susceptible de les lire était trop restreint

Par conséquent, c’est bien le paramétrage des comptes des réseaux sociaux qui constitue le critère du caractère privé ou public d’une publication.

Ainsi, des propos identiques, tenus sur un compte dont les paramètres assureront une confidentialité étroite ou relachée pourront, selon l’un ou l’autre de ces deux paramétrages, être considérés comme publiques ou privés.

Pour donner une image simple à comprendre, une insulte proférée dans une lettre uniquement adresseé à son destinataire est évidemment privée.  La même insulte, proférée à l’encontre du même destinataire, à la télévision sera évidemment publique.

C’est cette même approche qui prévaut depuis 1881.  Depuis plus de 130 ans donc.

Il est de plus en plus fréquent de la part des employeurs aux Etats-Unis de demander aux candidats à l’embauche leurs identifiants Facebook. Est-il possible qu’un jour ce genre de pratiques soit appliqué en France ?

Tout est évidemment possible. Mais cela me paraît peu probable en l’état actuel de la société française et du droit.

La protection de la vie privée est en effet une valeur cardinale de la société et du droit français.

La protection de la vie privée est un principe a valeur constitutionnelle. Il a été affirmée en 1948 par la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies (art.12) et, en France, l’article 9 du Code civil protège ce droit depuis la loi du 17 juillet 1970. En outre, La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne signée lors du Conseil européen de Nice en décembre 2000 énonçe que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications.

Cette protection contre toute intervention arbitraire porte entre autre sur la protection de son image et sur la protection de son intimité.

Or, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en étant forcé de donner à quiconque les identifiants de connexion à un réseau social, on lui livrerait une clé d’accès privilégiée à son image et à son intimité.

Par ailleurs, cette demande constituerait très certainement une discrimination à l’embauche, définie et réprimée par l’article L. 1132-1 du code du travail.

En l’état, l’employeur qui poserait ce genre d’exigence pour recruter est donc passible de santion.

Je ne crois pas que cette situation puisse changer à court ou moyen terme.

Avocat d’affaires, Marc Lipskier est né en 1970.Inscrit au Barreau de Paris depuis 1998, il a été collaborateur des cabinets Cotty & Associés (1998-2001), Brandford-Griffith-Baverez-Cotty (2001-2002) puis Bird & Bird (septembre 2002), avant d’être promu associé de Bird & Bird en mai 2003.Marc Lipskier est diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (section Economique et Financière) et titulaire d’un LLM in the European Community Law de l’ICADE (Madrid – Espagne) et de l’Université Catholique de Louvain (Belgique), ainsi que d’une maîtrise en droit des affaires internationales (Paris I).

Marc Lipskier a développé une forte expérience en matière de développement de startups et projets innovants. Il est notamment familier des secteurs de la télévision, du cinéma, de l’Internet (web 2.0) et des nouvelles énergies.

Passionné d’innovation et de technologies, Marc Lipskier est fondateur d’un club d’affaires dédié aux chefs d’entreprises innovantes (l’Exciting Business Club). Il a tenu la chronique juridique de l’édition française de Technology Review, revue mensuelle publiée par le M.I.T, et tient dorénavant la chronique juridique de la revue GREEN BUSINESS, consacrée aux entreprises du secteur du développement
durable.  Il a tenu la Chronique juridique de l’émission Green Business sur BFM Radio en 2010. Il anime un séminaire de droit des  entreprises innovantes à l’Ecole Nationale des Mines de Paris.

Conférencier reconnu pour sa vision, Marc Lipskier est notamment intervenu aux TEDx Alsace 2010 et 2011, ainsi qu’à ParisWeb 2010 et à SudWeb 2011 et 2012.

Marc Lipskier a fondé en janvier 2009 le cabinet BAMBOO & BEES (http://bambooandbees.com/ http://bambooandbees.com/), dédiée aux entreprises innovantes et aux technologies.

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