Plus que jamais d’actualité, les applications/fonctionnalités de vidéo live sont particulièrement décriées depuis, notamment le suicide en direct d’une jeune fille sur Periscope. Toutefois, l’application n’est pas la seule à être montrée du doigt. Facebook Live, Meerkat, Instagram, SnapChat et YouTube (avec Connect) sont également dans le viseur.
Dérives de la vidéo live
A titre d’exemples, on peut notamment recenser quelques unes des dérives mises en évidence :
- En janvier dernier, un prisonnier se filme en direct de sa cellule depuis la prison de Béziers (sans aucun doute un pied de nez à l’administration pénitentiaire) via Periscope
- En mai, aux Etats-Unis, trois adolescents ont séché les cours pour aller filmer leur relation sexuelle sur Facebook Live
- En début d’année, une américaine de 18 ans filme et diffuse le viol de son amie sur Periscope
- En avril, deux jeunes de 15 et 16 ans ont diffusé, toujours sur Periscope, une vidéo dans laquelle ils frappent un passant
Si l’on parle beaucoup de Periscope du fait de son actualité récente, il est aussi bon de rappeler qu’en matière de vidéos (qui ne sont pas forcément en live) cette application n’a pas l’exclusivité. Ainsi SnapChat a également été décrié à l’occasion de vidéos, diffusées en janvier 2001, mettant en scène la maltraitance de personnes âgées par de jeunes stagiaires (précision : il ne s’agit pas là de vidéos en direct mais de vidéos éphémères).
Une première forme de régulation (modération/censure ?) par les internautes
Est-il possible dès lors d’empêcher la diffusion de contenus insultants, offensants et autres qui ont pour but essentiel de créer le « buzz » (terme plutôt galvaudé de nos jours, on parlera plutôt de quête de « sensationnalisme ») ? Un premier niveau de modération existe déjà (en partie) grâce aux internautes eux-mêmes. En effet, il arrive que certains d’entre eux, choqués par ces vidéos, en signalent le caractère offensant aux médias sociaux concernés. Toutefois, c’est signalements sont loin d’être suffisants face au manque ou à l’absence de réactivité des médias sociaux concernés.
Pascale Garreau (responsable du site Internet sans crainte) confirme ainsi qu’il y a très souvent une autorégulation de jeune à jeune qui se fait. Cependant, il existe un effet pervers : les jeunes réagissent contre la diffusion de visuels mais parfois en les reprenant, accentuant ainsi un effet boule de neige. Dans le cas de la maison de retraite, la réaction a été intelligente, les jeunes ayant coupé le partage et signalé directement les vidéos mises en cause à qui de droit. (1)
A noter, la faible réactivité des principaux réseaux sociaux, comme a pu l’attester l’étude faire par les associations SOS Racisme, SOS Homophobie et l’Union des étudiants juifs de France mettant en lumière « l’inefficacité des systèmes de modération des contenus haineux » sur les réseaux sociaux (principalement Facebook, Twitter et YouTube).
Les résultats de la campagne de « testing » met à l’épreuve les systèmes de modération mis en place par ces réseaux sociaux. Ainsi, pendant deux semaines, des militants de ces associations ont signalé 586 contenus à caractère raciste, antisémite, négationniste ou homophobe.
Pour un résultat assez parlant et plutôt décevant :
- 4% des 205 contenus signalés ont fait l’objet d’un retrait sur Twitter. Twitter est donc l’acteur s’étant le moins conformé à ses obligations légales et à ses propres conditions générales d’utilisation.
- 7% des 225 contenus signalés ont fait l’objet de suppressions sur YouTube
- 34% de contenus supprimés sur Facebook sur les 156 signalés.
Les réseaux sociaux non coupables mais responsables
Le suicide d’Océane a soulevé bien des questions par rapport aux dispositifs d’alerte existants. En effet, certains internautes auraient tenté d’alerter les forces de l’ordre mais ce fut un échec, notamment en raison de l’utilisation d’un pseudo par la jeune fille. Si certains médias sociaux proposent des systèmes d’alerte, ceux-ci sont loin d’être suffisants et surtout accessibles et visibles (comme nous l’avons vu précédemment). Toutefois, certains avancent le risque d’une multiplication des procédures d’alerte (voire une intrusion dans la vie privée).
Ainsi, en Grande-Bretagne, le système « Samaritans Radars », qui avait été mis en place sur Twitter a finalement été supprimé au bout de quelques jours après une déferlante de signalements non justifiés. « Idéalement, il faudrait que les créateurs de ces sites financent des modérations un peu fines, surtout quand il s’agit d’adolescents. Cela implique concrètement de passer du direct au faux direct. Avant qu’une application puisse être diffusée, il faudrait qu’elle passe par un filtre » observe sur le site Atlantico le psychologue Michaël Stora, président de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines.
Dans le cas du suicide d’Océane, la présidente de l’association E-enfance, Justine Atlan » s’interroge : « Est-ce que cette jeune fille se serait suicidée si elle n’avait pas pu le faire en live sur Périscope ? ». Ainsi, les réseaux sociaux ne sont pas exempts de toute responsabilité : « Je considère qu’il y a une responsabilité des diffuseurs, des opérateurs d’Internet dans ce genre d’affaires. Le web c’est comme un océan, on ne peut naviguer sans balises, sans un code, une réglementation et des gardes fous » considère le pédopsychiatre Xavier Pommereau du CHU de Bordeaux. (2)
Peut-on aller jusqu’à parler de « non assistance à personne en danger » ?
Souvenez-vous, en avril 2014, une « affaire » fait grand bruit. En effet, l’apparente indifférence des usagers du métro de Lille à l’égard d’une jeune femme agressée sexuellement a posé la question de la non assistance à personne en danger. Témoignant à propos des 20 à 30 minutes très pénibles qu’elle avait vécues, la jeune mère de famille a affirmé qu’elle avait, sans succès, appelé à l’aide dans le métro. « On ne leur demande pas forcément d’intervenir, mais cela ne coûte rien d’appeler la police », avait entre autres commenté une source policière, à propos de l’absence de réaction des autres usagers du métro.
Une affaire qui rappelle celle qui a secoué les Etats-Unis et plus particulièrement la ville de New York, la nuit du 13 mars 1964. Et qui a donné naissance à ce que l’on a baptisé depuis l’ « effet du témoin » ou « effet spectateur ». Catherine « Kitty » Genovese fut sexuellement abusée et assassinée en pleine rue. Les circonstances du meurtre et la non-intervention de nombreux témoins (38) présents lors de l’agression en font un crime célèbre (et a donné lieu au livre « Est-ce ainsi que les femmes meurent » par Didier Decoin).
A la une du New York Times deux semaines plus tard, cet article a déclenché une énorme polémique à l’époque et fut le point de départ de nombreuses recherches en psychologie sociale tentant d’expliquer ce phénomène d’effet du témoin ou effet spectateur. Attaquée à deux reprises par son agresseur, elle sera retrouvée au pied de son immeuble. Les témoins, plusieurs habitants de ce même immeuble, reconnurent par la suite qu’ils étaient au courant que quelque chose se passait suite à des bruits et appels au secours lancés par Kitty. (3)
Dans le cas des vidéos live (live streaming), on peut donc également s’interroger quant à la passivité des internautes et reprendre les termes d' »effet témoin » ou d' »effet spectateur ». Y a t-il pour autant non assistance à personne en danger (passible de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende) dans des cas d’agression ? Selon l’article 223-6 alinéa 2e code pénal : quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours.
La question mérite d’être posée…
Quels recours pour modérer ces live ?
Prenons exemple sur ce qui se passe à la télévision pour les émissions en direct : en France, le CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel) n’applique pas la censure des émissions en direct. Toutefois, certains dérapages ont conduit à introduire un léger différé (on parlera également de retard artificiel). Ceci afin de permettre un contrôle a posteriori et permettre au responsable de la sélection des images de réagir pendant ce temps de « retard ». On parle alors de quasi-direct ; ce fut notamment le cas de la 1ère téléréalité dans l’hexagone « Loft Story ».
Depuis le fameux « nipple gate » (l’apparition du sein de Janet Jackson lors d’un direct pendant la mi-temps du Super Bowl retransmise par CBS aux Etats-Unis en 2004), la chaîne a introduit systématiquement un léger différé pour parer à ce genre de dérapage à l’avenir ; l’amende encourue étant très élevée.
La télévision chinoise est aussi une grande consommatrice de ce procédé. Les Jeux olympiques d’été de 2008 ont, par exemple, été retransmis avec un différé d’une dizaine de minutes, afin de pouvoir couper la transmission en cas de manifestations contestant le pouvoir en place à Pékin (le cas s’est effectivement produit lors de la cérémonie d’allumage de la flamme à Athènes, les téléspectateurs chinois n’ayant pas vu, contrairement au monde entier, la manifestation perturbatrice initiée par Reporters sans frontières).(4)
Peut-on dès lors imaginer que les applications/réseaux sociaux puissent mettre en place un « quasi direct » ?
Cette diffusion en différé poserait alors la question de qui est responsable du flux ? Il est clair que Periscope n’aura jamais ni les moyens ni le souhait, de mettre des personnes derrière chaque vidéo. Difficile avec un différé de quelques secondes seulement de faire une modération fiable comme c’est le cas à la télévision américaine notamment.
La justice a toutefois son rôle à jouer pour des actes de délinquances filmés et diffusés en live. Si la police arrive à les intercepter, les traduire devant un tribunal et que la condamnation est médiatisée, cela fera réfléchir les internautes susceptibles de vouloir les imiter. Notons également que depuis peu, Periscope a décidé de sauvegarder de façon permanente toute vidéo diffusée en direct via son application. Plutôt que de voir la vidéo disparaître 24 heures après son enregistrement, sans laisser de trace. Bientôt, toutes les vidéos seront stockées automatiquement par défaut et à vie. Ce qui rendra la tâche plus aisée… (5)
Si le live streaming est plus que jamais dans « l’ère du temps » et a tendance à se généraliser via les médias sociaux, il faudra néanmoins que les créateurs mettent en place des solutions pour parer aux problématiques des contenus diffusés. Qu’ils soient violents, offensants, discriminatoires, etc. Une meilleure prise en compte/réactivité quant aux signalements effectués par les internautes paraît nécessaire ainsi qu’un « modérateur » par pays, par exemple à l’image de ce qui se passe à la télévision. Enfin, il conviendra peut-être de garder à l’esprit cette notion de non assistance à personne en danger, et en redéfinir le cadre en l’adaptant à ce qui se passe sur les réseaux sociaux.
(1) Source : http://www.20minutes.fr/societe/1772891-20160125-reseaux-sociaux-derives-seule-vigilance-chacun-pourra-empecher
(2) Source : http://www.jim.fr/pharmacien/actualites/pro_societe/91_pharma/e-docs/le_suicide_retransmis_sur_periscope_relance_les_interrogations_sur_les_reseaux_sociaux__158741/document_actu_pro.phtml
(3) Source : https://leplaisirdelire.net/2014/04/27/est-ce-ainsi-que-les-femmes-meurent/
(4) Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Diffusion_en_direct
(5) Source : http://www.ladn.eu/actualites/derives-sur-reseaux-sociaux,article,31772.html
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